Le Reliquaire de l'Aimable Monsieur Denon

par Alexandre 19 Février 2008, 22:00 Mirabilia

Le Baron Dominique Vivant Denon, Robert Lefèvre, 1808

Le Baron Dominique Vivant Denon, Robert Lefèvre, 1808

L'aimable M. Denon, ainsi Stendhal appelait cette figure historique méconnue, aventurier & artiste, créateur du musée du Louvre, enfant de son siècle. Dominique Vivant Denon (1747-1825) reste un personnage d'exception, au même titre qu'un Casanova, qu'un Cagliostro, qu'un Sade. Il est rare de voir un acteur aussi lié à l'Histoire dans toute sa complexité et son ampleur, sur lequel il est si difficile de coller une étiquette, exemple même du héros protéiforme. Rare d'être à ce point à la fois un personnage historique et un tel personnage de roman.

Il a donc traversé tous les régimes ? Louis XV, Louis XVI, la Révolution, la Terreur, le Directoire, le Consulat, l'Empire, la Restauration ? Sans y perdre la tête ? Et vous dites qu'après avoir fondé le musée du Louvre, il a fini sa vie tranquillement à Paris, quai Voltaire, comme un collectionneur célèbre visité de partout ? Qu'il a son tombeau très officiel, avec statue, au Père-Lachaise ? Qu'il a connu tout le monde, les rois, les reines, Frédéric de Prusse, le cardinal de Bernis, Catherine de Russie, Pie VII, des généraux, des ambassadeurs, Robespierre, Joséphine, Napoléon, et aussi Diderot, Voltaire, Stendhal ? Il a donc vécu cent cinquante ans ? Non, soixante-dix-huit. Une vie tantôt calme et tantôt frénétique ; méditative, ou bien à cheval, au milieu des canons.
[...]
Bref, quoi ? C'est un auteur licencieux ? Un anarchiste masqué ? Un archéologue amateur ? Un homme de goût opportuniste devenu révolutionnaire ? Un technicien avisé du pillage de l'Europe et, par conséquent, l'inventeur de l'idée moderne de musée ? Un diplomate à éclipses ? Un agent très secret ? Un courtisan ? Un spécialiste des missions hautement symboliques ? Un administrateur obstiné et froid ? Un patriote ? Un aimable épicurien flottant, sans jamais sombrer, sur les vagues d'une histoire déchaînée ? Un protégé des femmes ? Un conseiller des ombres ? Un des rares survivants des Lumières ? Un homme du passé ayant victorieusement franchi l'épreuve du futur ? Un excellent dessinateur et graveur ? Un écrivain de génie préférant le silence ? Un visionnaire ? Un jouisseur ? Un intrigant ? Un sage ? Tout cela à la fois.

Le Cavalier du Louvre, Philippe Sollers

 

Tout au long de sa vie, il aura été : Gentilhomme Ordinaire Du Roi (G.O.D.R.), membre de l'Ancienne Académie de peinture de l'Institut de France, membre fondateur de l'Institut d'Egypte, directeur général des Musées Impériaux et Royaux, de la Monnaie, des Médailles de Sèvres, des Gobelins, officier de la Légion d'Honneur, Chevalier des ordres de Sainte-Anne de Russie et de la Couronne de Bavière, Franc-maçon (membre des Sophisiens, loge "La Parfaite Réunion", Orient de Paris), etc.

 

 

 

Mais voyons ce surprenant parcours de vie d'un peu plus près.

Qui n'a pas connu l'Ancien Régime ne sait pas ce qu'a pu être la douceur de vivre

Talleyrand

Ceux qui s'appellent encore De Non viennent de Bourgogne, de Givry, Chalon-sur-Saône, la famille y a des terres, des vignes, fait du du Chambertin. Notre Dominique Vivant, d'ailleurs, fera tout pour ne jamais les perdre et négociera son vin tout au long de sa vie et de ses séjours à l'étranger.

 

Après avoir étudié le dessin à Lyon, il monte à Paris tenter sa chance. Il y rencontre Louis XV le Bien-Aimé dans des circonstances floues (et plutôt romanesques), se fait propulser conservateur des pierres gravées de Mme de Pompadour.
 
Il ne reste pas longtemps inactif, et part à 25 ans en tant que Gentilhomme d'Ambassade en mission à Saint-Petersbourg. C'est l'époque ou les philosophes vieillissants des Lumières sont attachés aux souverains qui se veulent (ou se prétendent) "éclairés" : Voltaire à Frédéric II, Diderot à Catherine II. Il y travaille aux intérêts de la France, protégé de Vergennes qui sera ministre des Affaires étrangères sous Louis XVI.

 

Il en est finalement expulsé en 1774 à l'issue de la tentative de sauvetage rocambolesque d'une comédienne, espionne française arrêtée par ordre de l'impératrice ; rien n'y manque : carrosses discrets à la nuit tombée, fuite par une fenêtre, la sentinelle qui donne l'alerte... La note suivante, adressée à l'ambassadeur de France, décrit l'incident :

Cela ne se fit pas sans opposition de la part de ces Messieurs qui voulurent arracher la comédienne aux soldats et qui les frappèrent ainsi que leur sergent. Il se fit beaucoup de trouble et de rumeur dans la rue. On s'attroupait de toutes parts à l'éclat d'une pareille scène. Les soldats auraient fait un mauvais parti à MM. de Langeac et Denon et les auraient arrêtés et mis en prison, s'ils n'avaient pas vu s'intéresser à eux le comte Razoumovsky, gentilhomme de la Chambre de l'Impératrice, qu'ils reconnurent et par égard pour lequel ils laissèrent retirer tranquillement ces deux messieurs.

Voilà une affaire bizarre, et d'ailleurs, comment se fait-il qu'après un scandale pareil, aussi voyant, notre jeune diplomate ne soit pas grillé ? Bien au contraire, il semble plutôt devenir un agent plus informel, plus souterrain, probablement un homme de réseaux... A-t-il passé une sorte d'épreuve du feu ? Comme toujours, avec Vivant Denon, rien n'est certain, la discrétion de l'homme est proverbiale.

 

 

Un passage en Suède chez Vergennes, et Denon, à 28 ans, se rend à Ferney rendre visite à Voltaire, qui en a 81 (il a déjà connu et fréquenté Diderot à Saint-Petersbourg). Tout se passe pour le mieux et une sorte de complicité semble naître entre le patriarche des philosophes et notre jeune ami, mais finit par tourner au vinaigre, voire à la guerre épistolaire ouverte, lorsque de retour à Paris en 1775, Vivant signe une estampe satirique qui connaît un succès certain, et où l'on voit Voltaire au lit, en bonnet de nuit, entouré de deux paysannes, d'un jésuite et du sosie de Louis XVI.

Le Déjeuné de Ferney (estampe), BnF

Le Déjeuné de Ferney (estampe), BnF

 

Denon reste 2 ans à Paris et en 1777 publie anonymement Point de lendemain (la paternité du texte a longtemps été controversée). Ce conte libertin, chef d'oeuvre du genre, est signé M.D.G.O.D.R., ce que l'on finira par déchiffrer Monsieur Denon Gentilhomme Ordinaire Du Roi. D'ailleurs, Balzac, en 1829 recopiera le tout, en le censurant, dans sa physiologie du mariage mais en attribuant le texte à Dorat. En 1812, devenu baron d'Empire, Vivant Denon fera éditer, avec ses initiales, une version revue et corrigée, la plus répandue et la plus aboutie.

Le Reliquaire de l'Aimable Monsieur Denon

 

 

 

Après cette parenthèse littéraire, il part pour une expédition archéologique en Sicile organisée par l'abbé de Saint-Non. En passant, il sympathise avec un certain Henri Beyle (qui se fera plus tard appeler Stendhal), puis rejoint Naples, toujours pour des fonctions diplomatiques floues. Il y sera secrétaire d'ambassade puis chargé d'affaires. Il y fera collection de vases grecs et de femmes influentes qu'il dessinera. A-t-il croisé Sade ? Possible. Plausible, même. Il y croisera également un personnage sous le charme duquel il tombera (en dépit des avertissements de Vergennes) et avec lequel il fraie un certain temps : le comte de Cagliostro. Doit-on y voir le point de départ du parcours qui l'amenera plus tard à la Franc-maçonnerie avec les Sophisiens ? Probablement.

Joseph Balsamo, dit Cagliostro (Jean-Antoine Houdon, 1786)

Joseph Balsamo, dit Cagliostro (Jean-Antoine Houdon, 1786)

Dans le cadre de ses affaires diplomatiques, il s'attire l'inimité de la reine de Naples, Marie-Caroline, une autrichienne, soeur aînée d'une certaine Marie-Antoinette, une autre Autrichienne bien connue. Elle déteste donc les français, cela va de soi. Il rentre, par la force des choses, à Paris en 1785 et à défaut de reconnaissance officielle, reçoit d'importantes primes financières "tant pour les frais de son retour de Naples que pour toutes répétitions de sa part relatives aux fonctions qu'il a remplies" ; voila qui en dit long (ou pas du tout, ce qui est pareil). Il n'en reste pas moins qu'il n'est plus en odeur de sainteté aux Affaires (en apparence, du moins).

 

Il part alors, en 1787, s'installer à Venise, où il semble faire une sorte de pause. L'on y connaît bien les détails de sa vie, grâce aux rapports de l'Inquisition, d'autant plus attentive à un citoyen français qu'éclate un raz-de-maré qui va bouleverser l'Europe : la Révolution Française.

 

 

Vivant Denon s'implique le moins possible, importe son Chambertin, dessine, grave (notamment les fameux Dessins Priapiques, sorte de pornographie décalée, voire comique), il se trouve une protectrice influente, la comtesse Albrizzi, qui bien sûr, tient salon (Byron, entre autres, le fréquentera). Il continue bien sur sa collection d'objets d'art, à une époque ou la conservation, l'extraction (euphémisme qui reviendra), voire leur mise en valeur n'était pas du tout d'actualité. Etonnant Denon ; il sera donc irréprochable. Un peu trop pour qui connaît la suite des événements. Il joue les équilibristes entre l'Inquisition et le gouvernement français, pour ne pas être considéré comme "émigré" et donc être dépossédé de ses biens.

 

A force de jongler, il finira par être expulsé de Venise en 1792. Il passe brièvement à Florence d'où il est chassé, puis part pour Genève, où il apprend qu'il est sur la liste des émigrés. Ni une, ni deux, il débarque à Paris en pleine Terreur le 11 décembre 1793, au risque "de se jeter dans la gueule du loup et d'y perdre la tête".

 

Il lui faut un protecteur ; il se rend chez David, membre du Comité de Sûreté Générale (voilà encore l'Art qui se mèle de politique). Celui-ci se porte garant pour Denon au prétexte qu'il l'assiste pour des tableaux patriotiques. Dans la foulée, Denon aura une entrevue nocturne, aux Tuileries dans les appartements de Marie-Antoinette, avec le citoyen Robespierre. De quoi ont-ils parlé ? Mystère encore, mais officiellement de mode vestimentaire... (En passant, Denon récuperera, bien plus tard et on ne sait trop comment, le masque mortuaire du même robespierre, pour l'ajouter à sa curieuse collection).

 

 

Denon croquant les ruines de Hieraconpolis - Vivant Denon, Voyage dans la Basse et la Haute Égypte (Paris 1802)

Denon croquant les ruines de Hieraconpolis - Vivant Denon, Voyage dans la Basse et la Haute Égypte (Paris 1802)

Le vent de l'Histoire tourne et Vivant Denon se laisse porter. Il rencontre une certaine Joséphine de Beauharnais, puis un certain Bonaparte ; le courant passe, et plutôt bien. A 51 ans, il se démène pour faire partie de l'expédition d'Egypte. Il n'a pourtant aucune position officielle, mais arrive à embarquer sur la frégate La Junon le 14 mai 1798.

L'entrée en Egypte, c'est pour la fin du XVIIIe siècle, un évènement mythique aussi important que la découverte du Nouveau Monde ou le premier pas sur la lune.
[...]
Impossible de ne pas avoir la Bible en tête et de ne pas se dire qu'on vit une sorte de prodige. Vivant en est conscient au plus haut point."
[...]
Il y sera témoin, conteur, correspondant de guerre, dessinateur, naturaliste, archéologue, ethnologue, érudit, simple soldat, comploteur politique, et, finalement, poète.

Le Cavalier du Louvre, Philippe Sollers

 

Denon sera en effet exposé au feu, et aura maintes fois l'occasion de montrer sinon du courage, du moins une certaine désinvolture face au danger, comme en témoigne cette anecdote rapportée par Pastouret :

Denon aperçoit des ruines dont il veut absolument conserver un croquis. il se fait mettre à terre, court dans la plaine, s'établit sur le sable et se met à dessiner en hâte. Il n'avait pas tout à fait terminé son ouvrage quand un petit sifflement sec, tranchant, résonne et passe entre son papier et son visage. C'était une balle. Il relève la tête, voit un Arabe qui venait de le manquer et qui rechargeait son arme ; il saisit son propre fusil, déposé par terre, envoie à l'Arabe une balle dans la poitrine, puis il replie son portefeuille et regagne la barque. Le soir, il montre son dessin. "Votre ligne d'horizon n'est pas droite", lui dit Desaix. "Ah répond-il, c'est la faute de cet Arabe, il a tiré trop tôt."

 

L'expédition d'Egypte est une expérience unique, partagée par tous ceux qui en sont, et qui les soudera. Les soldats même comprennent l'importance d'immortaliser et de noter ces évènements ; Denon en témoigne, en arrivant devant les ruines de Thèbes :

L'armée, à l'aspect de ces ruines éparses, s'arrêta d'elle-même, et, par un mouvement spontané, battit des mains. [...]

Je trouvai des genoux pour me servir de table, des corps pour me donner de l'ombre, le soleil éclairant de rayons trop ardents une scène que je voudrais peindre à mes lecteurs, pour leur faire partager le sentiment que me firent éprouver la présence de si grands objets, et le spectacle de l'émotion électrique d'une armée composée de soldats, dont la délicate susceptibilité me rendait heureux d'être leur compagnon, glorieux d'être français.

Fidèle à lui-même, il en profitera pour enrichir sa collection du pied d'une momie. Oui, oui... le pied d'une momie...

Mais l'expédition prend fin, et il faut rentrer à Paris où Napoléon attend Bonaparte.

Bonaparte, comme un passager, s'occupait de géométrie, de chimie, et quelquefois jouait et riait avec nous.

 

 

 

En 1802, il publie Le voyage dans la Basse et la Haute Egypte qui est un succès foudroyant (dédié à Bonaparte, bien sûr). La même année, il est nommé, par arrêté du Premier Consul, directeur général des Musées, ce qui le rend responsable aussi de l'acquisition et de la conservation des objets d'art de l'Etat, en somme, "une sorte de Ministre des Beaux-Arts" dira Sollers.

Voyage dans la basse et haute Égypte pendant les campagnes du général Bonaparte (Paris, Didot l’Aîné, 1802)

Voyage dans la basse et haute Égypte pendant les campagnes du général Bonaparte (Paris, Didot l’Aîné, 1802)

Il profitera de la formidable machine de guerre de l'Empire pour rapporter des trophées de toute l'Europe. L'Italie, l'Autriche, l'Allemagne, etc. C'est la razzia.
Pour exemple, en 1806-1807 : 278 toiles, des ivoires, des bustes, des objets d'art indiens et chinois, des sculptures en bois, des gravures, dessins, médailles, 400 volumes dans une bibliothèque, des objets grecs, romains, égyptiens, plus de 250 tableaux de la galerie du Belvédère à Vienne.

Ce n'est pas pour rien qu'il sera surnommé "l'huissier-priseur de l'Europe". Néanmoins, au grand désespoir de Denon, tout ne va pas au Louvre. Beaucoup d'oeuvres sont "déviées" pour alimenter les cassettes privées de "particuliers" influents (Soult par exemple, ou Joséphine, très gourmande) qui ne font rien de moins que du traffic d'oeuvres d'art.

 

Avec le Louvre, Denon va bâtir son temple. Il trouve un palais quasiment à l'abandon, sale, squatté. Il prendra les choses en main et l'organisera, le transformera, et preparera l'écrin pour accueillir les pièces "extraites" en Europe.
Napoléon soutiendra son conservateur, et sera très attaché au Louvre ; notamment à l'ouverture du Musée au public, notion plutôt inhabituelle, voire insolite, pour l'époque. Il ira jusqu'à, en 1810, se marier avec Marie-Louise d'Autriche, dans le Salon Carré que Denon devra adapter (à sa plus vive consternation) en chapelle nuptiale.

 

Napoléon respecte Denon, et aussi pour son courage physique. Dans les guerres d'Europe, il le voit au feu. Un boulet tombe, projette de la terre sur le papier de ce bizarre dessinateur à cheval ? "Tiens, j'étais sûr de vous trouver où il y avait du fracas", dit l'Empereur. Il lui donne la Légion d'Honneur et le nomme Baron. A titre, aussi, militaire.

 

Vivant est débordé ; outre la direction, l'aménagement et l'organisation du Louvre, il termine l'érection de la colonne Vendôme, découvre les Primitif italiens, fait construire l'arc de triomphe du carrousel surmonté des légendaires chevaux de Venise, etc...

 

 

Vivant Denon en Espagne, remettant dans leurs tombeaux les restes du Cid et de Chimène (Alphonse Roehn, 1809)

Vivant Denon en Espagne, remettant dans leurs tombeaux les restes du Cid et de Chimène (Alphonse Roehn, 1809)

L'Empereur est battu, le roi revient, l'empereur revient à son tour pour les 100 jours, le roi fuit, puis revient à nouveau. Denon retourne sa veste autant de fois : le Musée est tout ce qui compte, les souverains et les régimes vont et viennent. Mais les pressions sont fortes. La défaite de Napoléon et la restauration impliquent de nouveaux amis et alliés en Europe. On organise donc la restitution des oeuvres puis on négocie une démission à l'amiable pour Denon. Il restera même beaucoup de choses au Louvre, Denon s'en assurera en se battant pied à pied.

 

Les anglais, bien sur, mettront le paquet ; ainsi, Wellington :

Tant que ces œuvres resteront, elles ne peuvent manquer de faire vivre dans la nation française le souvenir de ses anciennes conquêtes et d'entretenir son esprit militaire et sa vanité.

 

Mais, laissons Vivant Denon conclure, avec superbe et emphase :

Des circonstances inouïes avaient élevé un monument immense ; des circonstances non moins extraordinaires viennent de le renverser. Il avait fallu vaincre l'Europe pour former ce trophée ; il a fallu que l'Europe se rassemble pour le détruire.

Caricature contre le Baron Denon, directeur des musées - Saute pour le Roi (estampe), BnF

Caricature contre le Baron Denon, directeur des musées - Saute pour le Roi (estampe), BnF

Il se retire Quai Voltaire dans ses appartements avec sa collection personnelle et ses secrets. Il n'écrira pas de Mémoires, c'est un homme trop discret, et trop peu interessé par sa propre posterité pour ça.

D'ailleurs, il ne s'est jamais marié, même si tout le monde s'acccorde à lui attribuer de nombreuses conquêtes et aventures féminines ; mais sans plus de détails. Qui ? Quand ? Comment ? Mystère. Toujours sa discrétion. Peut-être parce qu'il s'agissait souvent de femmes de pouvoir et d'influence ?

 

La pérénité de sa collection lui importe peu également, il ne fait pas de testament. L'inventaire de son appartement, est éloquent sur la qualité de celle-ci ; dans sa chambre : un paysage de Breughel de Velours, une Vierge à l'enfant de Vouet, une Sainte-Famille de Sébastien Bourdon et Le Sacrifice à l'Amour de Fragonnard. Mais aussi des Rembrandt, Rubens, Van Dyck, Véronèse, Titien, Raphaël.... Oh, et le Gilles de Watteau... Le notaire n'en revient pas.

 

Il sera vite oublié après sa mort. Larousse le présente comme "surtout un courtisan", un "simple fonctionnaire", voué "à l'idole du jour" (dont Napoléon fait partie... ), ses dessins sont "des travaux     médiocres", Point de lendemain est un "petit conte libertin"... J'en passe et des meilleures. Le triomphe du bourgeois du XIXe siècle en somme.

 

Anatole France parlera en ces termes de Denon :

Il y avait à Paris, sous le règne de Louis XVIII, un homme heureux. C'était un vieillard.

 

 

 

 

Le Reliquaire de Vivant Denon

Le Reliquaire de Vivant Denon

Parmi les objets de sa collection, il en est un qui sort du lot, et qui en dit long sur notre ami. Un objet dont le contenu est à la fois monstrueux et extraordinairement romanesque.

En voici la description officielle de la vente de 1826 qui disperse ses biens après sa mort :

 

« Reliquaire de forme hexagonale et de travail gothique, flanqué à ses angles de six tourillons attachés par des arcs-boutants à un couronnement composé d'un petit édifice surmonté de la croix : les deux faces principales de ce reliquaire sont divisées chacune en six compartiments, et contiennent les objets suivants :

 

  • Fragments d'os du Cid et de Chimène trouvés dans leur sépulture, à Burgos.

 

  • Fragments d'os d'Héloïse et d'Abélard, extraits de leurs tombeaux, au Paraclet.

 

  • Cheveux d'Agnès Sorel, inhumée à Loches, et d'Inès de Castro, à Alcobaça.

 

  • Partie de la moustache de Henri IV, roi de France, qui avait été trouvée toute entière lors de l'exhumation des corps des rois à Saint-Denis, en 1793.

 

  • Fragment du linceul de Turenne.

 

  • Fragments d'os de Molière et de La Fontaine .

 

  • Cheveux du général Desaix. »

 

(Il faudra ajouter un fragment d'une dent de Voltaire figurant sous un autre numéro d'inventaire, et  intégré par la suite au reliquaire)

 

Les deux faces principales du reliquaire

Les deux faces principales du reliquaire

Deux des faces latérales du même objet sont remplies :

 

  • L'une par la signature autographe de Napoléon.

 

  • L'autre par un morceau ensanglanté de la chemise qu'il portait au moment de sa mort, une mèche de ses cheveux et une feuille du saule sous lequel il repose dans l'île de Sainte-Hélène.

 

Cheveux et signature de Napoléon, Crédit photo Musée-Hôtel Bertrand (Châteauroux - Indre - France)

Cheveux et signature de Napoléon, Crédit photo Musée-Hôtel Bertrand (Châteauroux - Indre - France)

Ceci témoigne d'une sorte de culte personnel. On y consacre une certaine conception de la gloire, de la grandeur, voire du tragique. Mais Denon a vécu une existence suffisamment aventureuse et exaltante pour être digne de le regarder en face, sans avoir à baisser les yeux.

 


A visiter :
Le musée Vivant-Denon à Chalon-sur-Saône
L'article "Vive Vivant Denon !" de Fuligineuse sur son Sablier

 

 

Mise à jour postérieure à l'article :

Depuis 2010, le Louvre raconté aux enfants, met Vivant Denon en scène dans son atelier ou de petites animations permettent de parcourir sa "collection".

Enfin la consécration !

 

Vivant Denon dans son atelier, prêt à servir de guide virtuel aux enfants

Vivant Denon dans son atelier, prêt à servir de guide virtuel aux enfants

 

 

commentaires

F
Un "contrepoint" bien sûr...
A
Merci Fuligineuse,Ton article (comme je l'avais mis dans un commentaire à l'époque) a bien évidemment contribué à inspiré celui-ci. Je confirme bien sur pour Point de lendemain, qui donne tout son sens au terme libertin tel qu'il était entendu à l'époque.
F
Il faut absolument lire Point de lendemain, auquel d'ailleurs Milan Kundera a donné un contreproint avec son roman La Lenteur. <br /> Merci pour cet article pertinent et magnifiquement illustré.
C
En un mot: WOW
J
Merci Alexandre pour cet article qui, malgré sa longueur, ne donne qu'un trop petit aperçu de la vie passionnante de Denon et de toutes ses ramifications culturelles. La prochaine fois que j'irai au Louvre (dans pas longtemps a priori), j'y repenserai sûrement : un tel musée ne pouvait être bâti que par le rêveur éveillé de Vivant.

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