Nous utilisons quotidiennement des milliers de mots : pour dire bonjour à sa boulangère, pour échanger des heures durant avec son meilleur ami à l’aide du fameux portable (devenu pour beaucoup aussi indispensable que l’oxygène de l’air) ou même pour écrire à son inspecteur des impôts préféré…
(Notre monde est une véritable tour de Babel puisqu’il existerait près de 7000 langues parlées dans le monde à l’heure actuelle… ce qui ne facilite pas toujours les échanges. Et notre français ne serait que la 12ème langue parlée dans le monde avec 77 millions de personnes la pratiquant, bien loin du chinois mandarin avec ses 885 millions d’adeptes).
Ce langage que nous utilisons est au service de notre pensée. Et en conséquence, la science et le langage sont étroitement liés :
Nous ne pensons qu’avec le secours des mots ; que les langues sont de véritables méthodes analytiques ; que l’algèbre la plus simple, la plus exacte & la mieux adaptée à son objet de toutes les manières de s’énoncer, est à-la-fois une langue & une méthode analytique ; enfin que l’art de raisonner se réduit à une langue bien faite.
Les sciences ont fait des progrès parce que les philosophes ont mieux observé et qu’ils ont mis dans leur langage la précision et l’exactitude qu’ils avaient mises dans leurs observations ; ils ont corrigé la langue et l’on a mieux raisonné.
Puisque la pensée et les concepts sont liés au langage, la science perfectionne nécessairement le langage courant. La science offre au langage également un cadre plus précis : le langage formel. L’exemple le plus connu est le langage formel mathématique. Il permet de lever toute ambigüité dans une proposition, il permet également de faciliter la communication entre scientifiques de nationalités différentes. Il est enfin possible de traduire un texte du langage de tous les jours en langage mathématiques, en suivant des codes précis.
Là où ça coince, c’est lorsque le scientifique doit quitter son langage formel pour faire partager ses idées au plus grand nombre. L’exemple le plus frappant est cette fameuse mécanique quantique, qui décrit le monde de l’infiniment petit inaccessible à nos 5 sens limités et dont le comportement semble si éloigné du monde dans lequel nous vivons (le monde macroscopique). Et nous avons parfois l’impression qu’ils parlent chinois… !? D’ailleurs les physiciens eux-mêmes buttent sur le problème de la traduction de toutes les données collectées sur ce monde subatomique afin de construire une vision cohérente du monde réel … (voir science et vie d’octobre 2005)
Le mot doit faire naître l'idée ; l'idée doit peindre le fait : ce sont trois empreintes d'un même cachet ; et, comme ce sont les mots qui conservent les idées et qui les transmettent, il en résulte qu'on ne peut perfectionner le langage sans perfectionner la science, ni la science sans le langage, et que, quelque certains que fussent les faits, quelque justes que fussent les idées qu'ils auraient fait naître, ils ne transmettraient encore que des impressions fausses, si nous n'avions pas des expressions exactes pour les rendre.
Le langage que nous employons tous les jours est une symbolisation d’idées et d’objets. Il est formé de mots qui constituent ce qu’on nomme le vocabulaire. Le choix de ces mots est arbitraire : il n’y a aucun lien entre le concept et la forme : par exemple le signe « chien » ne ressemble en aucun cas à l’animal. Il en est de même en chimie par exemple.
Pour décrire les rares éléments chimiques connus à l’époque (plomb, or, fer, etc.) et un certains nombres de produits chimiques (vitriol, borax etc.), les alchimistes ont longtemps utilisé des formes géométriques ou des symboles obscurs.
La découverte de l’atome constituant ces éléments chimiques a tout bouleversé. Début XIXème siècle, les atomes furent représentés en premier lieu par des cercles par Dalton. Berzelius proposa le premier la notation symbolique qu’on utilise de nos jours (H pour l’élément hydrogène, O pour l’oxygène ; ils forment H2O l’eau).
Mieux, Hoffmann s’inspira du sport national anglais : le cricket pour expliquer la structure tridimensionnelle des molécules. Chaque atome est symbolisé par une balle de cricket d’une couleur donnée : le blanc pour l’hydrogène, le rouge pour l’oxygène, le noir pour le carbone, etc Des bouts de bois reliant entre elles les boules symbolisèrent les liaisons entre les atomes.
Illustration de la démonstration de Hoffman au Royal Institution of Great Britain en 1865 (dans l'ordre : méthane, éthylène, dichloroéthylène)
Cette vision symbolique influe sur notre vision de la matière, et souvent nous oublions qu’il s’agit d’une représentation simpliste et commode. Une molécule n’a rien à voir avec des balles de crickets reliées par des bâtons ! Et la mécanique quantique, encore elle, est là pour nous le rappeler.
Encore mieux, Kékulé a trouvé la structure circulaire du benzène lors d’un rêve où il était question d’un serpent se mordant la queue. A l’occasion d’une soirée bière rendant hommage à cette découverte, la convention des naturalistes et médecins allemands représentèrent les atomes de carbones de la molécule de benzène par des singes. Les pattes des animaux symbolisant les liaisons. De l’humour de chimiste sans doute…
Il est néanmoins intéressant de noter que le symbole chimique (C pour carbone) ou les boules de cricket (noires en l’occurrence pour le carbone) peuvent être remplacées par n’importe quel symbole (ici des singes) .Cela ne change pas le sens du message : la molécule reste circulaire et formée de 6 atomes de même nature. Tout est donc question de convention…
C'est quand les accents graves tournent à l'aigu que les sourcils sont en accent circonflexe.
- A lire : Les cahiers de science et vie - décembre 1997
commentaires